Violence conjugale ou familiale, nouvelle obligation pour les employeurs
En vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail (LSST), un employeur devait prendre les mesures nécessaires pour « protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique du travailleur »[1]. Depuis l’adoption du projet de loi 59[2], le 30 septembre 2021, la LSST a été modifiée. Certaines obligations sont entrées en vigueur depuis le 6 octobre 2021 et nous allons en détailler une ensemble.
En effet, un employeur a désormais l’obligation de prévenir les risques liés à la santé physique ET psychique de ses employés. Il devra donc identifier les risques qui pourraient nuire à la santé physique et psychique de ses équipes. Une organisation devra donc prendre les mesures nécessaires pour contrer la violence physique et psychique, incluant la violence conjugale et familiale. Énorme changement !
Que dit l’article 51, 1er al. par. 16 de la LSST ?
Dans les faits, il ne s’agit pas ici d’une modification mais d’un véritable ajout.
Un employeur a l’obligation de « prendre les mesures pour assurer la protection du travailleur exposé sur les lieux de travail à une situation de violence physique ou psychologique, incluant la violence conjugale, familiale ou à caractère sexuel.
Aux fins du paragraphe 16° du premier alinéa, dans le cas d’une situation de violence conjugale ou familiale, l’employeur est tenu de prendre les mesures lorsqu’il sait ou devrait raisonnablement savoir que le travailleur est exposé à cette violence. ».
Vous vous questionnez peut-être en vous disant que la violence conjugale relève de la sphère « privée » ou que signifie la « connaissance raisonnable » qu’un employé est victime de violence, au surcroît dans un contexte de télétravail ?
La violence conjugale et « la sphère privée »
Tout d’abord, il est important de souligner que les victimes de violence conjugale, même si elles sont majoritairement des femmes, peuvent également être des hommes. Le préciser est important pour rappeler qu’il faut être attentifs pour l’ensemble des employés.
Il y a encore peu de temps, et très regrettablement encore aujourd’hui, certaines personnes, certains employeurs, préféraient fermer les yeux sur une telle situation, feignaient de ne pas voir ou de ne pas savoir, parfois malgré des signes évidents, sous le prétexte qu’il s’agirait « de la vie privée », en omettant donc les risques pour la personne victime. La nouvelle obligation vient mettre un terme à ce genre d’évitement. Politique de l’autruche ? Souvent, le fait de ne pas intervenir vient du fait de ne simplement pas savoir comment le faire. Mais vous en conviendrez, ce n’est pas une raison suffisante considérant les dangers qui guettent les victimes, et même parfois leurs collègues.
La violence conjugale ne s’arrête pas du moment où les victimes sortent de chez elles. Les personnes violentes font souvent vivre une pression à leur victime même lorsqu’elles sont dans les locaux de l’employeur (textos, appels répétés, surveillance, etc.).
Cette violence pourrait avoir un impact sur le climat de travail pour l’ensemble des employés ou représenter un éventuel danger.
La violence conjugale et le télétravail
Dans un contexte de télétravail, le domicile d’un employé devient son lieu de travail. Les obligations de l’employeur se prolongent donc jusqu’au domicile d’un employé. Mais attention, cela ne donne pas à l’employeur le droit d’entrer chez un salarié. Un inspecteur de la CNESST ne peut pas non plus entrer dans une résidence privée. En revanche, un juge peut donner un mandat à un inspecteur de la CNESST s’il existe des motifs sérieux de penser que la vie ou la santé et la sécurité d’une personne sont en dangers.
Une victime de violence pourrait demander de l’aide en se confiant à un collègue, à un gestionnaire ou une personne des ressources humaines. Elle pourrait également, alors qu’elle est en vidéoconférence avec une personne, démontrer un appel à l’aide. Sachez reconnaitre ce signe :
Si un employeur a connaissance qu’une personne de son équipe est victime de violence conjugale/familiale, il pourrait faire cesser le télétravail et ramener la personne sur les lieux du travail. L’employeur pourrait aussi, par exemple, faire des rencontres virtuelles de manière plus fréquente pour s’assurer que la personne va bien ou déterminer si elle pourrait avoir besoin d’aide.
« La connaissance raisonnable »
Bien sûr un employeur pourrait être informé de manière formelle, directement par la victime. Mais un employeur pourrait avoir connaissance de la violence subie par une personne en constatant certains éléments qui lui font soupçonner l’existence d’une telle situation.
La violence est parfois visible (traces de coups) et parfois elle ne l’est pas (violence psychologique). La victime fait parfois une confidence à un ou une collègue. Le comportement de la victime change (retards, absences fréquentes, baisse de la performance, s’isole, etc.). La personne qui violente est souvent omniprésente (texte, appelle la victime à répétitions ou appelle même l’employeur, se rend sur les lieux du travail, surveille la victime, etc.).
S’il existe des éléments qui peuvent vraisemblablement faire en sorte que l’employeur a des doutes, il devra intervenir. Il ne s’agit pas non plus d’exiger d’une personne qu’elle « avoue » être ou non victime de violence conjugale. Nous y reviendrons mais une personne formée dans l’organisation pourrait parler avec la présumée victime pour lui proposer de l’aide.
Sensibilisez et formez !
Il faut que l’ensemble du personnel d’une entreprise soit informé de cette nouvelle obligation. Les salariés doivent être sensibilisés au fait que, s’ils reçoivent une confidence de la part d’une victime, ils doivent alerter une personne des ressources humaines ou un gestionnaire.
Ce sujet devrait être abordé dans la politique de l’organisation en matière de prévention du harcèlement, de l’incivilité et de la violence et donc abordé dans la formation donnée aux employés.
Si l’organisation possède une politique concernant le télétravail, le sujet de la violence conjugale et familiale devrait également être inclus pour rappeler que les employé(e)s qui sont victimes de violence conjugale ou familiale peuvent également communiquer avec la personne-ressource si elles ont besoin d’aide. L’organisation pourrait, par exemple, établir un code pour que la personne lance un appel à l’aide, sans raconter sa vie au téléphone (avec la présumée source de violence à ses côtés). Ce code devrait être connu de l’ensemble des employés.
Une entreprise pourrait également dédier une politique spécifique à la prévention de la violence conjugale et familiale et y détailler les obligations de tous les salariés mais également le mécanisme d’intervention prévu.
Mettez en place un mécanisme d’intervention AVANT qu’une situation survienne
- Vous pourriez, par exemple, disposer des affiches sur les lieux de travail (y compris à l’intérieur des toilettes car c’est un endroit à l’abri des regards…) comportant les coordonnées des ressources essentielles : PAE, centres d’hébergements, le numéro de SOS violence conjugale, etc.;
- Les ressources humaines, les gestionnaires, les syndicats pourraient (devraient!) suivre un programme de sensibilisation pour être préparés s’ils devaient avoir à gérer une telle situation;
- Préparez un document sur lequel est inscrit l’ensemble des ressources externes qui peuvent aider la victime (maisons d’hébergement, lignes de soutien, services juridiques gratuits, etc.). Il vous sera utile si un cas devait survenir;
- Informez, sensibilisez, formez les salariés;
- Assurez à tous vos employés que s’ils étaient victimes, ils trouveront une oreille attentive et que le tout sera traité avec confidentialité.
Et si une victime dénonce sa situation…
Comme mentionné précédemment, une victime de violence peut avoir des retards, des absences, une baisse de la performance. Le plus souvent, elle se confiera à une personne en qui elle a confiance. Il faudra alors prendre des mesures pour rendre les locaux sécuritaires pour la victime et les autres employés (sécuriser l’entrée, limiter les personnes qui ont accès, filtrer les appels transmis à la personne, la raccompagner à son véhicule, etc.).
La dernière chose dont une victime de violence a besoin est de perdre son emploi. Alors, les employeurs devraient réfléchir à une façon d’aider la personne: en lui accordant du temps pour qu’elle puisse faire ses appels aux ressources externes, une trêve au niveau de la gestion de la performance, un aménagement de son horaire, la changer de bureau si le sien donne sur une fenêtre au rez-de-chaussée par exemple, etc.
Et, bien entendu, un employeur devra continuer à maintenir un climat de travail sain et exempt de toute forme de harcèlement …et de toute forme de violence.
Ressources à connaitre
- Programme de sensibilisation et de certification pour les employeurs : https://milieuxdetravailallies.com/
- Affiches disponibles : pdf (maisons-femmes.qc.ca)
- Aide mémoire avec des informations très pertinentes pour aider les employeurs : pdf (maisons-femmes.qc.ca)
Pour les victimes de violence :
- 911
- SOS Violence conjugale: 1-800 363-9010 ou par texto : 438 601-1211
- Les CISSS et CIUSSS partout au Québec : CISSS Québec | Bottin Santé | Liste des CISSS Québec – page 1 (bottinsante.ca)
- Les Centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) Accueil – Réseau des CAVAC
- Services juridiques abordables :
- Juripop : http://juripop.org/jai-besoin-dun-avocat/ 1 855 JURIPOP
- justicedeproximite.qc.ca
- Aide juridique : csj.qc.ca
- Autres services juridiques :
Pour les femmes victimes de violence :
- Coordonnées des maisons d’aide et d’hébergement partout au Québec : pdf (maisons-femmes.qc.ca)
Ou
Pour les hommes victimes de violence conjugale :
- Centre d’Entraide La Boussole – Programme d’aide pour hommes violentés (centrelaboussole.ca)
- Aide aux hommes en difficultés conjugales (serviceaideconjoints.org)
Bien que toutes les personnes violentes ne sont pas des hommes, voici des ressources pour les hommes qui seraient violents et qui auraient besoin d’aide :
Ou
[1] (Art. 51 L.s.s.t.)
[2] Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail