Télétravail, harcèlement et violence
Le télétravail a-t-il fait diminuer les risques de harcèlement parce que les salariés ne se côtoient plus physiquement ? Je vous vends le punch, la réponse est non.
Le télétravail a-t-il fait diminuer les responsabilités en matière de santé et de sécurité des employeurs ? Non plus. Le domicile d’un employé devient le lieu de travail, l’endroit où un salarié doit être présent « par le fait ou à l’occasion de son travail », comme la loi sur la santé et la sécurité le définit. De ce fait, les obligations d’un employeur demeurent donc les mêmes dans un contexte de télétravail à savoir qu’il doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique du travailleur[1] et cela, même s’il est plus difficile de contrôler certains paramètres lorsque l’employé est à son domicile.
Les entreprises ont-elles pris des moyens particuliers pour faire face à cette « nouvelle » réalité ? Que faudrait-il faire pour prévenir les risques liés au harcèlement et à la violence dans un contexte de télétravail ?
télétravail, harcèlement et violence
Comment se manifeste le harcèlement ou la violence alors que les employés sont en télétravail ?
Le télétravail a augmenté l’utilisation des moyens électroniques pour communiquer : courriels, messageries instantanées, utilisation accrue des médias sociaux. Et nous sommes d’accord, ce n’est pas la meilleure façon de se comprendre.
Le travail à distance rend également plus difficile l’intervention d’éventuels témoins ce qui laisse place à plus de situations en vase clos, les personnes étant isolées. Aussi, le fait d’être en télétravail éloigne un peu les employés des ressources qui pourraient leur être utiles dans les circonstances : département des ressources humaines, politiques de l’organisation, etc. C’est la même chose avec la potentielle réduction des espaces de bureaux à venir : tout le monde ne sera plus au bureau en même temps. Des situations auront le temps de se détériorer avant d’être portées à la connaissance d’un représentant de l’employeur, ou de la personne désignée dans la politique de prévention du harcèlement.
Il faut donc souhaiter que l’organisation ait adéquatement structuré le tout en donnant accès à l’ensemble des outils (répertoire téléphonique, intranet ou un dossier en ligne comprenant l’ensemble des politiques, etc.).
Quand à la violence, elle peut être psychologique ou physique. Il est de la responsabilité des employeurs, mais aussi des employés, de veiller à la santé physique et psychologique ainsi que de la violence au sein de l’organisation, y compris la violence conjugale. Vous pouvez lire notre article concernant les obligations d’un employeur au sujet de la violence conjugale et/ou familiale.
Le harcèlement et la voie électronique
Il peut s’agir d’échanges écrits ou encore d’envois de photos, par exemple. Ces échanges peuvent être entre deux employés ou entre un employé et un gestionnaire. Il peut être question de harcèlement de nature psychologique ou encore de nature sexuelle.
Le télétravail rend parfois la ligne entre la vie professionnelle et la vie privée plus mince. Des situations peuvent naître de conversations qui dépassent le cadre normal du travail ou autrement dit qui « dérapent ». Au départ, il peut même s’agir de conversations plutôt amicales auxquelles les deux personnes prennent part. Puis, une des personnes peut dévier la conversation pour faire des insinuations à l’autre, des blagues tendancieuses, de mauvais goûts, des avances répétées, etc. Des conversations électroniques qui dérangent, qui créent un inconfort ou touchent à l’intégrité d’une personne. Le plus souvent, ces conversations ne sont pas désirées par l’une des parties qui ne sait pas comment y répondre. Ces situations peuvent concerner deux employés « amis » ou un(e) gestionnaire et un(e) employé(e) sur les médias sociaux ou encore de messages textes via les cellulaires.
Les preuves
Par voie électronique, il est plus facile de conserver des preuves (courriels, échanges, messages textes, etc.). Et des enregistrements ? Les enregistrements étaient déjà présents avant le télétravail. Mais attention, soyons clairs, commencer à enregistrer ses collègues ou un supérieur n’est pas un bon moyen pour favoriser de bonnes relations de travail et maintenir un climat de travail sain. Tout le monde se méfie d’une personne qui est soupçonnée d’enregistrer à tout va, sans limite. Et cela ne veut pas non plus dire que tous les enregistrements seraient acceptables en preuve. La personne plaignante devra être en mesure d’expliquer qu’elle avait des motifs raisonnables de le faire, qu’il y avait un enjeu pour sa santé ou sa sécurité.
Est-ce que si ces conversations entre deux employé(e)s ou entre un(e) employé(e) et un gestionnaire ont lieu en dehors des heures de travail, dans une discussion privée sur une messagerie, l’employeur a-t-il des obligations ? La réponse est oui, car la situation entraîne inévitablement des répercussions dans le travail.
Mais attention, tous les échanges ne correspondent pas à la définition de harcèlement, même si la situation dérange la personne.
Télétravail, gestion de la performance et harcèlement
Enfin, une autre source possible de plaintes vient de l’exercice du droit de gestion. Même en télétravail, des objectifs sont à atteindre ou d’autres situations font toujours l’objet de suivis disciplinaires ou administratifs. Mais, gérer la non-performance d’un employé est souvent un dossier difficile pour un gestionnaire. C’est vrai en présence et ça l’est encore plus à distance. Il y a la manière d’aborder la gestion de la non-performance, les outils proposés, la fréquence, etc., et la perception de la personne qui fait l’objet des suivis. Cette personne peut avoir l’impression d’être « surveillée » et non « épaulée ».
Rappelons que tout ne constitue pas du harcèlement. Le droit de gestion et ce que cela englobe : suivis de performance, de présence au travail, etc. ne constitue pas du harcèlement dans la mesure où l’exercice de ce droit n’est pas fait de manière abusive, déraisonnable ou encore discriminatoire. Ne constitue pas non plus du harcèlement, le stress inhérent à une fonction ou encore un conflit entre deux personnes. Il est donc d’autant plus important de bien structurer le processus de gestion de la non-performance en tant de télétravail.
Et tant que nous y sommes, puisque le télétravail « est là pour rester », une entreprise devrait éclaircir, dans sa politique de télétravail, que le fait de travailler à distance n’est pas un acquis (à moins qu’une ressource ait un contrat spécifique le mentionnant) et qu’à tout moment l’employeur peut rappeler un(e) employé(e) au bureau à temps plein si la performance ou le savoir-être ne correspondent pas aux attentes (si les mesures sanitaires le permettent !).
Ce que les entreprises devraient faire :
Depuis le 1er janvier 2019 pour les entreprises provinciales, et depuis le 1er janvier 2021 pour les entreprises de juridiction fédérale, une politique de prévention en matière de harcèlement doit avoir été instaurée. Si votre organisation n’en possède toujours pas, il est urgent d’en rédiger une. Pour les entreprises de juridiction provinciale, elles peuvent consulter notre article qui vous explique comment rédiger une politique de prévention. Elles peuvent aussi s’inspirer du modèle mis à disposition par la CNESST.
- Modifier la politique de prévention en matière de harcèlement :
- La définition de cyberharcèlement/cyberintimidation devrait être ajoutée. La politique devrait encadrer les comportements attendus dans l’utilisation des plateformes électroniques avec l’ensemble des employés comme les attentes en matière de civilité dans les échanges (Diriez-vous la même chose à la personne si elle était en face de vous ?) ;
- Identifier clairement la personne-ressource à qui s’adresser. En contexte de télétravail, il est d’autant plus important qu’il soit facile pour un employé de savoir à qui s’adresser si nécessaire. Il pourrait être inscrit le nom, ainsi que les coordonnées de la personne, voire d’une deuxième ressource potentielle (Exemple : directeur(rice) des ressources humaines et conseiller(ère) ressources humaines. Il pourrait être également pertinent de créer une adresse courriel dédiée aux éventuelles plaintes pour éviter de devoir mettre la politique à jour parce qu’une des personnes ressources a quitté l’organisation. La personne responsable de la politique aurait alors la responsabilité de s’assurer que les courriels sont pris ou transférés sur cette adresse et qu’une réponse diligente soit faite à la personne plaignante.
- Mise à disposition de la politique. Si l’organisation possède un intranet, cela permet aux employés de se référer à la dernière version à jour de la politique, notamment pour les coordonnées de la ou des personne(s)-ressources si cette option a été retenue. Sinon, au même titre que d’autres politiques concernant la santé et la sécurité, les employés devraient y avoir facilement accès.
- Envoyer la mise à jour de la politique à l’ensemble des employés. Une mise à jour d’une politique est toujours un moment opportun pour la transmettre à nouveau aux employés et ainsi faire un rappel du savoir-être attendu.
- Former les employés et les gestionnaires. La formation de l’ensemble des employés quant à la politique interne est placée parmi les moyens dits « raisonnables » de la part de l’employeur pour prévenir les situations. Donc il faut avoir une politique ET former les employés et gestionnaires. Encore aujourd’hui, lorsque je pose la question à des employés, ils me répondent ne pas savoir s’il existe une telle politique dans leur organisation. Avouez que c’est un problème.
De la sensibilisation pourrait être faite aux gestionnaires, par exemple, pour les mettre en garde contre la pratique d’ajouter des membres de leurs équipes sur des plateformes de messagerie , autres que celles nécessaires pour le travail (Facebook, Snapchat, etc.). Comme les employés devraient être sensibilisés à prêter une attention à leurs échanges sur les réseaux sociaux avec leurs collègues/amis.
Les gestionnaires devraient également être formés adéquatement sur la gestion à distance d’une équipe de travail pour éviter au maximum les situations liées à la perception qu’une personne peut avoir quand un gestionnaire fait des suivis au sujet de sa performance.
- Faire le lien avec la politique de télétravail. Plusieurs entreprises ont rédigé des politiques pour encadrer le télétravail. Cette politique pourrait mentionner et inviter à consulter la politique de prévention en matière de harcèlement et de violence.
- Sensibiliser les employés aussi à la violence conjugale/familiale. Les victimes de violence conjugale sont isolées chez elles lorsqu’elles font du télétravail. Ces victimes sont des employé(e)s de différentes entreprises. Il peut s’agir d’un(e) de vos collègues, de votre supérieur(e), etc. Ces victimes travaillent donc dans un endroit dangereux pour elles. Une organisation devrait inclure dans sa politique que les employé(e)s qui sont victimes de violence conjugale ou familiale peuvent également communiquer avec la personne-ressource si elles ont besoin d’aide, et donc même s’il ne s’agit pas d’une situation directement liée au travail (voir notre article).
- Si l’organisation dispose d’un programme d’aide aux employés (P.A.E), il serait également pertinent que le numéro soit facilement accessible aux employés sans avoir à le demander, même aux ressources humaines.
Une dernière chose, n’oubliez pas que la cohérence entre ce qui est dit ou écrit et ce qui est réellement fait est primordiale. Votre crédibilité et le sentiment de sécurité des employés en dépendent. Alors…faites réellement ce que vous avancez !
À vos mises à jour !
[1] (art. 51 L.s.s.t.)