Adoption du projet de loi 42

Le projet de loi 42 , « Loi visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail », a été adopté en mars 2024. Certaines dispositions sont entrées en vigueur dès le 27 mars 2024, d’autres le 27 septembre 2024, et d’autres devront être mises en place au plus tard le 6 octobre 2025.

Petit retour en arrière, 2018 à 2024

Tout d’abord, petit rappel rapide sur ce qui s’est passé depuis les dernières modifications réalisées en 2018 concernant les obligations d’un employeur en matière de prévention du harcèlement :

  • En juin 2018 : le délai pour déposer une plainte en matière de harcèlement psychologique passait de 6 mois à 2 ans;
  • La notion de harcèlement sexuel était explicitement inscrite dans la définition de ce qui constitue du harcèlement :
    • Art 81.18 de la LNT : « on entend par « harcèlement psychologique » une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique de la personne salariée et qui entraîne, pour celle-ci, un milieu de travail néfaste. Pour plus de précision, le harcèlement psychologique comprend une telle conduite lorsqu’elle se manifeste par de telles paroles, de tels actes ou de tels gestes à caractère sexuel.
    • Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour la personne salariée ».
  • Le 1er janvier 2019 : Tous les employeurs devaient s’être dotés d’une politique de prévention en matière de harcèlement (l’ont-ils tous faits ? Comment s’y sont-ils pris ?);

Les employeurs ont le devoir de prendre « les moyens raisonnables » pour maintenir un climat de travail sain et éviter toute forme de harcèlement. Parmi ces moyens, former les personnes salariées de l’organisation, etc. Vous comprendrez ici que « les moyens raisonnables » n’étaient pas très encadrés. Un employeur a le pouvoir de mettre en place ce qu’il juge approprié dans son contexte. Mais il doit le faire, ce n’est pas une option.

Voilà, un gros résumé.

Que s’est-il passé entre le 1er janvier 2019 et le début d’année 2024 qui a vu l’adoption du projet de loi 42 ? (« Loi visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail ») ?

Eh bien, les politiques de prévention du harcèlement ont été plus ou moins bien rédigées (et donc ont été plus ou moins efficaces). Les « moyens raisonnables » ont été plus ou moins mis en place, et donc, eux aussi, plus ou moins efficaces.

Vous en doutez ? Je vous donne des exemples :

  • des politiques qui ont, parfois, été « copier-coller » sans correspondre nécessairement à la réalité (et aux moyens) de l’organisation, souvent sans aucune explication du processus pour dénoncer une situation, sans même souvent le nom (ni les coordonnées!) de la personne à contacter en cas de dépôt d’une plainte. Et tout ça, souvent, avec des employé.e.s à distance. D’autres exemples ?
  • Plusieurs personnes ne savent pas, encore aujourd’hui, s’il y a une politique de prévention du harcèlement dans leur organisation. Ce qui veut donc dire que si une politique a été rédigée, elle a parfois été placée bien en ordre…dans une filière et qu’il n’y a pas eu de réelle(s) communication(s) sur le sujet, ni de formation. Et donc, si une politique n’est pas connue, publiée, disponible…cela ne sert (oui, vous avez deviné)…à rien !. Et donc, inutile de vous dire que même les formations de base n’ont certainement pas été réalisées dans toutes les organisations. Voilà, voilà.

Et que s’est-il passé ? Les cas d’incivilité, de harcèlement psychologique ou sexuel continuent dans les organisations. Alors, certes, il est utopique de penser qu’il pourrait ne plus en avoir…mais bien des cas devraient (pourraient) être évités.

Modifications apportées aux différentes lois: LNT, LSST, LATMP

Alors donc, nous voici en 2024, et j’entends beaucoup de « voilà encore une modification, comme si on avait que ça à faire ! » ou de « je n’ai pas encore pris le temps de regarder ce que ça implique les changements ». Mon avis ? Ces modifications ne seront pas les dernières si les organisations ne prennent pas cela (vraiment) au sérieux.

DONC, parlons de ces nouvelles obligations. Parmi elles :

  • L’employeur a l’obligation de faire cesser toute inconduite de la part de « toute personne » : comprenez ici : clients, sous-traitants, fournisseurs, emloyé.e.s, etc. Toute personne en contact avec son personnel.
  • La LSST (Loi sur la santé et la sécurité au travail)  comprend désormais la définition de « violence à caractère sexuel »:
    • « Toute forme de violence visant la sexualité ou toute autre inconduite se manifestant notamment par des gestes, des pratiques, des paroles, des comportements ou des attitudes à connotation sexuelle non désirés, qu’elles se produisent à une seule occasion ou de manière répétée, ce qui inclut la violence relative à la diversité sexuelle et de genre».

En une seule phrase, des changements drastiques : « toute inconduite » et « à une seule occasion ». En résumé : peu importe la gravité de l’inconduite : « toute inconduite ».

Petit rappel : Dans l’analyse de ce qu’est du harcèlement, le caractère répétitif ou de gravité est nécessaire (plus un événement est anodin, plus il faudra de répétitions pour qualifier une situation de harcèlement mais plus les événements sont graves, moins la répétition sera nécessaire). Un événement suffisamment grave peut donc, à lui seul, répondre à l’ensemble des critères. Vous avez saisi la différence, dans le cas de la « violence à caractère sexuel », on n’attendra pas de répétition ni le caractère de gravité. Une telle situation devra être prise au sérieux et tout de suite. Sans égard à la gravité ou la répétition (oui je me répète, mais c’est très important!). Il faudra donc former les employé.e.s (réellement) et être très clairs. Les « blagues » de mauvais goût n’ont plus leur place tout comme les gestes ou comportements à connotation sexuelle. Il faudra faire preuve de courage et de diligence pour faire cesser ces situations. Et sanctionner s’il le faut.

Parlant de sanctions potentielles. Les modifications visent également les clauses d’amnistie. En bref, si une mesure disciplinaire a été imposée en lien avec de la violence physique, psychologique ou sexuelle, elle ne disparaitra plus. Un employeur pourra donc grader les sanctions même si la mesure est supérieure à 18, 24 mois, etc. Terminé le « je me tiens tranquille pendant le temps où la mesure est valide et je recommence ensuite ». Je plaisante, ça n’existe pas ce genre de cas….

Le harcèlement, la violence à caractère sexuel doivent faire partie intégrante de l’identification des risques psychosociaux à prendre en considération.

  • La LATMP (Loi sur les accidents et maladies professionnelles) : Autres modifications d’importance : une personne victime de violence sexuelle n’aura plus 6 mois mais 24 mois pour déposer une réclamation d’accident/lésion professionnelle. Et c’est l’ensemble des employeurs qui se verront imputés. Pour plus de détails sur ce point, c’est ici.
  • La LNT (Loi sur les normes du travail):  Modifications à apporter à votre politique de prévention. Donc, nous sommes d’accord, il ne devrait s’agir « que » de modifications / d’ajouts mais si vous êtes en retard depuis longtemps, c’est maintenant :
    • « Politique de prévention et de prise en charge des situations de harcèlement psychologique »;
    • Identification des risques (identifier, contrôler, éliminer). Je vous donne un exemple ? Party de noël organisé par l’entreprise : faire un rappel des comportements attendus, limiter la consommation d’alcool, identifier des personnes sentinelles, etc.
    • Former les employé.e.s ainsi que les personnes désignées qui auront la responsabilité de traiter un signalement ou une plainte. Une formation sur la prévention du harcèlement comme celle donnée aux autres employés n’est pas suffisante;
    • Recommandations relatives aux comportements attendus lors d’événements sociaux à l’occasion du travail (voir exemple précédent);
    • Mécanisme de traitement d’une plainte : la politique devrait expliquer, détailler le processus de traitement d’une plainte ou d’une dénonciation, c’est-à-dire expliquer les différentes étapes : parler à la personne concernée pour lui demander de cesser son comportement, lorsque cela est possible ou demander du soutien pour le faire, médiation / discussion assistée, Analyse de recevabilité de la plainte, enquête si la plainte est recevable, etc.;
    • Identifier la/les personne(s) désignées(s) qui sera/ont donc responsable(s) de réceptionner et traiter la plainte. Cette/ces personne(s) devra/ont être formée(s) pour cela;
  • Et, enfin, cette politique devra, au plus tard le 6 octobre 2025, être inclus dans le programme de prévention (Art. 19 LNT et voir LSST).

Rappel : Un employeur doit prendre soin de la santé physique ET psychique de ses personnes salariées (Art. 51 LSST) y compris en matière de violence conjugale ou familiale lorsqu’elle survient sur les lieux du travail. Voir notre article sur le sujet.

Exemple de politique disponible sur le site de la CNESST : cliquer ici (après avoir terminé cet article!)

Je termine en rappelant que CHAQUE personne dans une organisation a une responsabilité quant à un milieu de travail sain ET exempt de toute forme de harcèlement, et de violence. Parmi les obligations qui incombent à chaque personne (voir site de la CNESST ici):

Conclusion

Des défis sont à prévoir : comment cette définition de la violence à caractère sexuel sera réellement vécue dans les milieux de travail (et devant les tribunaux !). En attendant, mettez votre politique de prévention du harcèlement et de la violence conforme aux exigences, formez vos personnes salariées, formez les personnes désignées. Agissez dès que des événements sont portés à votre connaissance. Documentez les événements et conservez le tout au moins 2 ans, sinon plus, tout en vous assurant de la confidentialité des données.

 

Nous formons les employé.e.s, les gestionnaires et les personnes désignées. Nous prenons également en charge les analyses de recevabilité et les enquêtes en matière de harcèlement.