Cet article a été rédigé pour la Revue RH de l’Ordre des Conseillers en Ressources Humaines Agréés, volume 21, numéro 3, juillet/août/septembre 2018. Pour le voir sur le site de l’Ordre des CRHA.
Quel type de message transmettons-nous au plaignant lorsque sa plainte pour harcèlement n’est pas recevable? Est-ce qu’une plainte considérée comme non fondée ou non recevable peut quand même faire l’objet d’une intervention?
Une plainte formelle pour harcèlement est déposée et l’analyse de recevabilité vous fait trancher : la plainte n’est pas recevable. Ou encore : la plainte a passé positivement l’analyse de recevabilité et une enquête a été faite, mais les conclusions de celle-ci déterminent qu’il n’y a pas eu de harcèlement. Dans un cas comme dans l’autre, le fait qu’un employé ait formulé une plainte formelle devrait toujours être source de remise en question. Si une plainte ne passe pas le test de la recevabilité, il n’en demeure pas moins qu’elle traduit sans doute un malaise ou un conflit sous-jacent. Si les résultats de l’enquête concluent que la plainte ne répond pas aux cinq critères énoncés dans la définition du harcèlement, il n’en demeure pas moins que certains comportements peuvent être considérés comme inappropriés. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’une plainte n’est pas recevable ou qu’il n’y a pas eu de harcèlement au sens de la loi que la situation ne mérite pas des ajustements.
L’impartialité, même après l’enquête
Les CRHA ont un rôle crucial à jouer dans ce genre de situation. Un rôle où ils devront, plus que jamais, faire preuve d’impartialité et s’assurer que le milieu de travail est réellement sain, en mettant en oeuvre diverses actions et divers suivis. Ces actions se traduiront par des activités de formation, de nouvelles procédures, des rappels ou des mises à jour de certaines directives, un plan de vigie, etc.
Tout d’abord, si une enquête a été réalisée, le professionnel en ressources humaines devrait s’assurer que la personne plaignante et la personne mise en cause sont rencontrées séparément pour que les conclusions de l’enquête leur soient divulguées. La personne qui a mené l’enquête est la personne toute désignée pour rencontrer les parties et pour fermer la boucle. Le premier enjeu à gérer est le moment où une personne plaignante reçoit les conclusions de l’enquête, lorsque celles-ci ne vont pas dans le sens souhaité. Il est donc important de faire preuve d’empathie et de s’assurer que la personne plaignante comprenne quel a été le processus de l’enquête, de façon à ce qu’elle réalise le sérieux avec lequel l’enquête a été conduite. Mais il n’est pas question ici de se perdre dans du jargon juridique ou du vocabulaire de relations du travail.
Divulguer les conclusions de l’enquête
La personne plaignante devra avant tout comprendre ceci : lorsqu’une plainte est déclarée « non fondée », cela ne veut pas dire que l’enquêteur a conclu que les faits avancés ne se sont pas produits, ou que ces faits sont niés par l’enquête, mais plutôt qu’ils ne correspondent pas à la définition du harcèlement prévue dans la loi.
La personne plaignante devrait sortir de la rencontre avec le sentiment d’avoir eu droit à une équité procédurale, d’avoir été entendue et comprise, malgré le fait que les conclusions ne soient pas celles recherchées. Le défi est de réussir à éliminer l’équation « ce n’est pas du harcèlement, donc ils pensent que j’ai menti ».
Et après l’enquête ?
Également, le dépôt d’une plainte formelle pour harcèlement ne devrait jamais être vain. Il devrait toujours permettre une remise en question de certaines façons de faire. Si l’enquête a été faite par un enquêteur externe, celui-ci aura peut-être fourni des recommandations suite à l’enquête. Sinon, à la lecture du rapport d’enquête, les CRHA devraient être en mesure d’établir un plan d’action pour améliorer ce qui doit l’être et éviter que surviennent d’autres événements similaires. La prévention du harcèlement dans l’organisation devrait donc s’améliorer après qu’une plainte de harcèlement ait été déposée, que celle-ci se soit avérée fondée ou non. L’obligation de prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement prend alors tout son sens.
Concrètement, la politique de prévention en matière de harcèlement de l’organisation devrait être revue pour déterminer si le processus a été adéquat ou s’il y a des ajustements à apporter. Votre politique couvrait-elle la nature de la plainte? Si, par exemple, la nature de la plainte consistait en du cyberharcèlement, votre politique le prévoyait-elle? Le mécanisme de plainte prévu dans votre politique a-t-il été efficace? Il est également pertinent de se demander si cette politique est connue de tous et disponible pour l’ensemble des employés (babillard, Intranet, etc.) et d’envisager une formation interne ou un rappel de ladite politique. Pour démontrer la tolérance zéro face au harcèlement dans votre organisation, il serait pertinent d’inclure la signature de cette politique dans le processus d’embauche et de prévoir un rappel à chaque fois qu’elle est mise à jour.
Très souvent, une plainte met en lumière un conflit de travail. Même s’il y a eu enquête, et indépendamment des conclusions de celle-ci, le conflit pourrait subsister. Il est donc important de s’occuper de la relation et de la collaboration attendue entre les parties impliquées dans la plainte. Vous pourriez envisager une médiation pour vous assurer que les parties s’assoient ensemble, accompagnées d’une tierce personne impartiale, afin qu’elles s’écoutent mutuellement et établissent les bases de ce que sera leur nouvelle relation. Tout comme pour l’enquête, si c’est le CRHA à l’interne qui s’occupe du processus de médiation, il lui faudra faire preuve d’impartialité et assurer la plus grande confidentialité dans le dossier. Encore une fois, même s’il n’y a pas eu de harcèlement, il n’en demeure pas moins que la personne a pu être victime de maladresses. Inversement, la personne qui a été mise en cause dans la plainte a sans doute des choses à exprimer sur ce qui s’est passé.
Après un épisode de dépôt formel de plainte, le CRHA devrait inviter les parties impliquées à venir le voir si un événement irritant devait se produire à nouveau. Parallèlement, le CRHA devrait quand même assurer un suivi régulier avec les parties pour veiller à ce que la situation ne se détériore pas. Il pourrait s’agir d’une rencontre aux deux mois durant les six premiers mois, tout dépendant de la situation et des allégations qui ont été faites.
Une plainte ou un rapport d’enquête peuvent également faire ressortir des manquements qui, même s’ils n’ont pas été qualifiés de harcèlement, devraient faire l’objet de mesures disciplinaires ou administratives. Mais au-delà de la sanction, il faudrait se questionner et évaluer si les directives et procédures de l’organisation sont claires sur le sujet. Pour qu’une plainte ne soit pas vaine, elle doit permettre à l’organisation de s’améliorer. Qu’est-ce qui aurait pu être fait différemment? Les procédures doivent-elles être révisées? Ou encore : une politique devrait-elle être instaurée?
Question à se poser lorsque vous traitez une plainte
- Votre politique sur le harcèlement couvre-t-elle la nature de la plainte?
- Le mécanisme de plainte prévu dans votre politique est-il efficace?
- Votre politique est-elle connue de tous et disponible pour l’ensemble des employés?
Par exemple, il n’est pas rare que l’évaluation de la performance soit un enjeu et que cela génère le dépôt d’une plainte d’un employé envers son gestionnaire. Le gestionnaire a peut-être souhaité aborder un manque de performance et ultimement aider l’employé, mais il ne s’y est peut-être pas pris de la bonne façon et a plutôt isolé l’employé. Ce qui pourrait être fait est donc de regarder quel est le processus de suivi concernant une telle lacune, comment l’équipe de gestion rapporte ce genre de cas à l’équipe des ressources humaines, si le gestionnaire concerné a besoin de coaching sur le sujet, etc.
Autre exemple, lorsque les parties concernées dans la plainte sont deux employés. Il est parfois question de l’organisation du travail, de la répartition des tâches. Il serait donc pertinent de vérifier si les descriptions de tâches sont effectivement claires, apporter les correctifs si la responsabilité d’une tâche précise n’a jamais été réellement définie.
Pour ne pas qu’une plainte reste vaine
Dernier exemple d’une amélioration possible suite à une plainte. L’incivilité est de plus en plus un enjeu dans les milieux de travail : des courriels manquant parfois de respect ou des échanges verbaux inadéquats. L’incivilité peut, par exemple, être incluse dans la politique de prévention en matière de harcèlement de votre entreprise, mais elle pourrait également faire l’objet d’une politique en soi qui encadre l’ensemble des communications dans l’organisation.
Ainsi, le professionnel de la gestion des ressources humaines devrait aborder le dépôt d’une plainte formelle pour harcèlement comme un moment de remise en question pour l’organisation et tenter de transformer les allégations d’une personne plaignante en possibles pistes d’améliorations. L’impartialité du CRHA devrait permettre de questionner ce qui est fait et ainsi représenter une force pour la prévention du harcèlement dans votre organisation. Le CRHA devrait être attentif à d’autres manifestations similaires dans le service de la personne plaignante. Et si cette plainte venait confirmer un doute que vous aviez déjà? Serait-il alors temps de questionner d’autres employés en réalisant un diagnostic du climat organisationnel?