La médiation organisationnelle pour régler un différend.
– Il est illusoire de croire que l’on peut éviter tous les conflits. Jean-François Six[1] écrit : « le cœur de l’homme et des sociétés est fait de passions et d’humeurs, de conflits et de violence; si n’apparaissent que des situations angéliques, c’est qu’il y a maldonne quelque part ». Voilà pour ça. Cependant les conflits doivent être gérés et, lorsqu’ils le sont adéquatement, peuvent être sources de changements et d’améliorations.
En revanche, un conflit mal géré, quel qu’il soit, aura inévitablement des répercussions sur l’ensemble des membres d’un milieu de travail : sur la santé physique ou mentale des personnes, sur la productivité d’un département, sur le taux de roulement, le taux d’absentéisme ou même sur la réputation d’un secteur. Nous avions déjà abordé cela dans un article précédent.
La médiation organisationnelle c’est quoi ?
La médiation organisationnelle est un mode loin des sentiers habituels d’une justice adjudicatrice, qui impose une solution, qui tranche. Dans une médiation, les parties sont maitresses des solutions qui seront adoptées et les parties d’une organisation ne sont pas exclues du processus.
La médiation organisationnelle s’éloigne donc d’un mode qui recherche la vérité, d’un mode qui statue sur « qui a tort ou qui a raison ». La médiation organisationnelle représente aussi la possibilité de gérer un conflit en pensant à la pérennité de la relation entre les parties. En d’autres termes, il est important de comprendre les raisons qui ont mené au conflit mais les participants regarderont vers le futur et décideront ensemble ce que sera leur relation et les mécanismes qu’ils mettront en place pour la suite. De plus, lorsque l’on parle de pérennité d’une relation il est parfois plus facile d’impliquer une tierce personne externe à l’organisation pour résoudre un différend puisque cette tierce partie ne sera plus dans le quotidien de l’organisation ensuite.
La médiation ne doit pas être vue comme un système de justice de deuxième classe. D’ailleurs, le législateur considère dorénavant les modes de résolution des conflits comme une étape avant de s’adresser aux tribunaux.
Que dit la loi ?
En février 2014 a été adopté le Nouveau Code de procédure civile du Québec (ci-après « N.C.p.c »). Il est en vigueur depuis janvier 2016.
Le législateur a décidé de prévoir, dans l’article 1 que : « les parties doivent considérer le recours aux modes privés de prévention et de règlement de leur différend avant de s’adresser aux tribunaux ». Les articles 1 à 7 du N.C.p.c encadrent les principes de la procédure applicable aux modes privés de prévention et de règlement des différends.
Parmi ces « modes privés de prévention et de règlement des différends » se trouvent plusieurs styles de résolution des conflits: la négociation, la médiation, la conciliation ou encore l’arbitrage. Ces modes de règlement des différends sont-ils tous similaires? Non. Les parties n’ont pas le même pouvoir dans la recherche de solutions. En effet, lorsque les parties se soumettent à un arbitrage par exemple, elles donnent à un arbitre le pouvoir de trancher et d’imposer une décision qui sera exécutoire. À contrario, si certains critères sont rencontrés, les parties pourront choisir elles-mêmes les solutions qu’elles jugent mutuellement acceptables en s’asseyant à la table de médiation.
En quoi consiste la médiation organisationnelle?
La médiation est un « processus consensuel de construction ou de réparation du lien social et de gestion de conflits, dans lequel un tiers impartial, indépendant et sans pouvoir décisionnel, tente, à travers l’organisation d’échanges entre les personnes ou les institutions, de les aider soit à améliorer ou à rétablir une relation, soit à régler un conflit » (Faget[2]).
Autrement dit, les parties sont pleinement en contrôle des solutions qu’elles retiendront et le médiateur est le gardien du processus mais n’a aucun pouvoir décisionnel.
Il faut également savoir qu’il existe plusieurs approches de médiation mais quel que soit le type de médiation retenu, il ne s’agira d’une réelle médiation que si certains critères sont rencontrés. Aussi, cette médiation est généralement menée par un médiateur qui, qu’il soit agréé par l’IMAQ[3] ou non, devra respecter certains comportements en vertu du N.C.p.c. Nous allons détailler ces différents aspects.
Les critères indispensables à une médiation
L’article 2 du Nouveau Code de procédure civile du Québec spécifie que « les parties qui s’engagent dans une procédure de prévention et de règlement des différends le font volontairement. Elles sont alors tenues d’y participer de bonne foi, de faire preuve de transparence l’une envers l’autre, à l’égard notamment de l’information qu’elles détiennent, et de coopérer activement dans la recherche d’une solution et, le cas échéant, dans l’élaboration et l’application d’un protocole préjudiciaire ; elles sont aussi tenues de partager les coûts de cette procédure ».
En d’autres termes, un médiateur devra toujours s’assurer que les participants à la médiation :
- Le sont de façon libre et volontaire ;
- S’engagent dans le processus de bonne foi ;
- Mettront les meilleurs efforts et divulgueront les informations nécessaires au bon déroulement de la médiation ;
- S’engagent à participer au processus dans le respect des personnes et du processus ;
- Respecteront la proportionnalité concernant les coûts engendrés entre le temps exigé, à la nature et à la complexité de leur différend ;
- Respecteront la confidentialité du processus et des discussions (article 4 du N.C.p.c).
Le fait de participer de façon « libre et volontaire » sous-entend également la possibilité que si une partie désirait abandonner la médiation, elle pourrait le faire en avisant le médiateur au préalable ainsi que les autres parties. Le retrait possible d’une médiation est prévu à l’article 604 du N.C. p.c.
Si ces critères sont respectés alors nous sommes dans un processus de médiation. Ils ne sont pas négociables. Si les critères ne sont pas rencontrés nous sommes alors dans un autre mode (conciliation ou facilitation par exemple). Ces critères visent à démontrer l’engagement et la participation active des parties dans le processus de médiation et évite qu’une partie se présente en médiation avec un « agenda caché » ou autrement dit, se présente pour obtenir des informations en vue d’un processus ultérieur (arbitrage, etc.) en n’en divulguant aucune. Si tel était le cas, le processus de médiation n’aurait plus lieu d’être, le médiateur pourrait en imposer la fin. Une médiation demande beaucoup d’énergie aux parties et le travail du médiateur est de libérer cette énergie qui permettra aux parties de communiquer (Jean-François Six).
La médiation est-elle toujours possible ?
Non. Pensons à certaines situations comme des conflits impliquant une différence très grande de niveau hiérarchique entre les deux parties, la collaboration sera plus ardue voire impossible en raison du fait que les personnes ne sont pas sur le même « pied d’égalité » au sein de l’organisation et n’ont, de ce fait, pas le même pouvoir décisionnel.
Mais revenons à une situation où vous avez encore le choix. Un conflit est présent entre deux personnes et vous avez tenté de gérer la situation à l’interne mais en vain. Vous avez entendu parler de la médiation organisationnelle mais vous ne savez pas réellement en quoi elle consiste.
Concrètement, comment se passe une médiation ?
Les personnes directement impliquées dans le conflit, si elles respectent les critères que nous avons abordé, pourront s’asseoir en vue de trouver une entente. Le processus a différentes étapes qui ont pour but de mener les parties à résoudre leur conflit et à consigner le tout par écrit. L’entente, comme le processus, sera confidentielle.
Elles devront entamer la médiation en abandonnant leurs positions (points de vue). C’est ce qui se trouve sous ses positions, soient leurs besoins et leurs intérêts, qui devront être exprimés afin que les parties trouvent des solutions compatibles, acceptables pour les deux parties. Nous le disions au début de cet article, un conflit bien géré peut être source d’améliorations et « selon cette nouvelle logique » (Nouveau Code de procédure civile du Québec), « les parties sont des partenaires égaux dont l’objectif est de collaborer pour en arriver à une résultante qui règlera le conflit et qui permettra d’aplanir les difficultés rencontrées dans leur relation passée »[4].
Comme nous l’avons évoqué au début de cet article, les différents acteurs de l’organisation ne sont pas exclus de la médiation organisationnelle. Le médiateur identifiera les parties impliquées dans le conflit et celles qui auraient la possibilité de favoriser ou d’empêcher la bonne exécution de l’entente par la suite.
Le médiateur pourrait suggérer une médiation « tripartite » qui prévoit les deux parties en conflit et une personne représentante de l’organisation (donc généralement un gestionnaire ou une personne des ressources humaines) afin de s’assurer de la faisabilité des solutions retenues et du respect de l’entente ensuite.
Lorsqu’un gestionnaire est invité à se joindre à la médiation, il sera généralement 2 niveaux hiérarchiques plus haut que les parties (le supérieur du supérieur immédiat par exemple). La personne représentant l’organisation pourrait au surcroît être choisie pour ses qualités personnelles ou parce qu’elle a des connaissances du processus de la médiation.
Le médiateur pourrait également suggérer une médiation « bipartite ». Une médiation « bipartite » n’est pas figée en ce qui a trait aux participants. Il pourrait s’agir d’une seule partie au conflit qui collaborerait avec un représentant de l’organisation pour tenter de trouver une résolution au différend.
Il pourrait également s’agir d’une médiation bipartite seulement entre les 2 parties au conflit sans un représentant de l’organisation. Le médiateur n’ayant pas de pouvoir décisionnel il ne pourrait être garant de la faisabilité de l’ensemble des solutions trouvées par les parties.
Une médiation bipartite pourrait avoir lieu entre le Syndicat et l’employeur dans une situation qui ne concerne pas un grief individuel par exemple mais un point qui concerne l’ensemble des employés.
Dans un contexte de médiation suite à une plainte de harcèlement psychologique, les parties pourraient être séparées tout au long du processus et seul le représentant de la personne mise en cause serait présent lors du récit de la personne plaignante.
Le médiateur
Pour mener à bien une médiation, le médiateur doit posséder des qualités dont l’impartialité et le respect de la confidentialité. Un médiateur est non-contraignable. Il ne peut pas être appelé ultérieurement à témoigner sur une médiation qu’il a conduite. Cette confidentialité est un des facteurs qui favorise la participation des parties à la médiation. Aussi, il est important de préciser que le médiateur ne donne pas de conseils juridiques aux parties. Il les invitera néanmoins à consulter un professionnel compétent dans la nature de leur différend.
Conclusion
Les avantages d’une médiation organisationnelle sont indéniables. Il faudra néanmoins encore du temps pour que les façons de penser le règlement d’un différend change et que celui-ci soit abordé différemment.
Les parties devront être devront adopter une attitude collaborative pour mener à bien une médiation et le médiateur fera tout ce qui est en son pouvoir pour établir un climat de confiance.
[1] Le temps des Médiateurs, Éditions du Seuil, Paris, p.206.
[2] Jacques Faget est un chercheur français, professeur universitaire, médiateur et conférencier. Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages dont Médiations : les ateliers silencieux de la démocratie, 2010. Éditions Érès, 2015
[3] Institut de Médiation et d’Arbitrage du Québec.
[4] Me. Thierry Bériault, L’approche intégrative à la pratique de la médiation, p.9.